L'acteur Manuel Bonnet nous fait le cadeau de nous parler de l'écrivain Nicole Ciravegna.
"J'ai connu Nicole en 1980, après avoir lu Les trois Jours du Cavalier (Seuil). M'étant mis en tête d'initier son adaptation pour la télévision et d'y interpréter le rôle de Clair Gantelme, j'ai trouvé très facilement son adresse dans l'annuaire.
A la lettre enflammée que je lui adressai le 6 mars, elle me répondit dès le 13, après m'avoir vu dans Le Nœud de Vipères, aux côtés de Pierre Dux et Suzanne Flon, sur TF1, dans la réalisation de Jacques Trébouta qui valut à ce téléfilm le prix de la critique.
En lisant que j’étais la troisième personne à lui avoir proposé de tirer un film des Trois Jours du Cavalier ; qu'avant moi Maud Linder — la fille de Max — puis le réalisateur Jean Fléchet s'étaient eux-mêmes proposé de le faire, je fus contrarié. Toutefois, anticipant ma réaction, Nicole avait ajouté finement :
— ... Et puis j'écris un autre roman qui vous plaira peut-être aussi. Et je crois bien d'ailleurs que je vais découper le portrait de vous qu'il y a dans Télé 7 Jours pour donner un visage précis à mon nouveau héros, Nicolas Perrault, colporteur de livres, envoyé à la guerre en Crimée en 1856 et revenant à demi mort retrouver la vie dans l'hôpital Caroline sur l'île du Frioul, au large de Marseille...
Il s'agissait de L'île blanche. Moins d'une semaine plus tard, Nicole était passée à l’acte — Lettre du 19 mars 1980 —.
Qu’on se figure le choc que ces lignes furent pour moi qui rêvais d’être l’interprète de Nicole Ciravégna.
De l’auteur, certes, mais aussi du prof infatigablement voué à ses élèves qu’elle était. Cet autre extrait de la même lettre donne une assez juste idée du travail qu’elle abattait.
— … Pardonnez-moi. C’est le temps qui me manque. Je suis professeur de français ; avec des cours à préparer, des dissertations à corriger, des réunions et des conseils, des clubs scolaires à animer, des rencontres de jeunes lecteurs à Marseille, en Provence, à Lyon, Grenoble, Bordeaux, le livret de l’opéra des lycéens à mettre en clarté, en cohérence et en forme, un petit roman court à écrire pour la collection « Aux quatre coins du temps » de Bordas (une suite à un premier Chichois de la Rue des Mauvestis, illustré par mon frère), enfin ce roman de Nicolas Perrault qui est assez vaste (j’ai la tripe épique !). Sans compter les mille et un petits travaux de la vie quotidienne… et les coups de téléphone.
Je la rencontrai pour la première fois quelques semaines plus tard, le 19 mai 1980, dans les Salons du Cercle Interallié, à l’occasion de la remise du Prix des Maisons de la Presse qui lui fut décerné pour Les Trois Jours du Cavalier.
Ainsi donc, bien avant la parution de L'île blanche aux Editions Jeanne Lafitte, en octobre 1982, je me pris à rêver, là encore, de son adaptation pour la télévision. Malheureusement mon activisme resta sans effet et ce beau roman ne fut jamais porté à l’écran.
C’est en cette année 82, par une lettre que Nicole m’adressa le 11 mars, que j’entendis pour la première fois parler de La Prison sur la Mer. Commandé par FR3 dix ans auparavant, le scénario avait été laissé de côté. Plus tard, Nicole en avait fait cadeau, sous forme de nouvelle — magnifiquement illustrée par son frère Jef Colline —, à HEURES CLAIRES des Femmes, la revue mensuelle de l’Union des Femmes Françaises.
Quand je découvris cette histoire de protestants, « galériens pour la Foi », qui moururent au château d’If à la fin du règne de Louis XIV, son adaptation pour la télévision était à nouveau à l’ordre du jour. Quelques mois auparavant, le réalisateur Jacques Ordinès lui ayant demandé un sujet, Nicole lui avait envoyé la nouvelle.
Ordinès et moi ne nous connaissions pas ; mes chances de décrocher le rôle du baron Olivier étaient fort minces.
Aussi me dois-je de rappeler la détermination avec laquelle Nicole se mit en tête de m’imposer dans La Prison sur la Mer. Dès le 19 mars, elle alla droit au but :
— Ne pensez-vous pas que le rôle du baron Olivier vous irait comme un gant ?
On l’imagine aisément, j’étais parfaitement de son avis. Mais la question primordiale était de savoir si la chaîne et le réalisateur, eux, le seraient.
Trois jours plus tard, le 22 mars, Nicole reprit sa plume pour m’annoncer :
— J’ai écrit à Jacques Ordinès. […] Si par miracle, le projet aboutissait de son côté, j’exigerais avant de signer que le rôle vous soit donné.
Six interminables mois s’écoulèrent, rien n’ayant été décidé à mon sujet, du moins à ma connaissance. Le 27 octobre, peu avant qu’elle ne signe avec FR3, sa délicatesse lui dicta ces mots non moins encourageants qu’élégants :
— J’espère que tout ira pour le mieux pour vous et pour moi. Ma main amie.
En décembre, le hasard lui prêta main-forte. TF1 diffusa Les Dames à la Licorne, réalisé par Lazare Iglésis d’après le roman de René Barjavel. M’ayant vu dans le rôle de Shawn, Nicole me fit le soir même de Noël le plus beau des cadeaux :
— Vous êtes vraiment le personnage d’Olivier de la Ferrière. J’espère que Jacques Ordinès sera du même avis. Je serais étonnée du contraire ! Aussi je vous souhaite une année riche de réalisations, de succès et de bonheur. Une année où vous vous vivrez votre printemps sur la mer.
Ce qui fut fait. Très exactement trois ans après notre premier contact.
Avoir tourné au château d’If l’intégralité du film, reste à tous égards un souvenir précieux que je dédie non seulement à Nicole et à Jacques Ordinès mais encore à la mémoire de Julien Guiomar.
En ce temps-là, mails, SMS et forfaits téléphoniques illimités étaient encore à naître. Une correspondance-fleuve s’était instaurée entre Nicole et moi. Plus tard, nos rencontres, chaque fois que je descendis travailler à Marseille, prirent le pas sur nos plumes.
Plus tard encore, privilège notable, j'eus même l’occasion de coucher chez elle, rue de l'Abbé Faria, un certain nombre de fois.
Son originalité, sa richesse intérieure, sa modestie, sa gaieté, sa curiosité, sa malice, sa truculence et sa gaillardise me ravissaient. J’appréciais sa tendance à privilégier un regard « rigolo » sur les êtres et les choses.
Percevant son œuvre à travers le prisme de mon métier d’interprète, j’eus toujours avec elle des échanges extrêmement concrets sur ses personnages, de ces échanges fouillés, voire impudiques, que connaît bien le couple acteur - metteur en scène qui cherche en profondeur la vérité d’un rôle.
Avec Nicole, tout prenait rapidement une dimension onirique étourdissante. Emportés par son imagination, son érudition et ses qualités de conteur, nous entrions dans ses œuvres « pour de vrai ».
Je me souviens avoir emprunté avec elle son admirable Chemin du Loup (Autre Temps,1995) comme d’une invitation irrésistible à m’incarner dans le mystique et décharné Benoît Labre. Il me fallut plusieurs heures pour revenir à la réalité et admettre que j’avais alors largement dépassé l’âge et le gabarit de son héros.
Je garde de Nicole Ciravégna le souvenir d’un immense petit bout de femme et d’une amie extrêmement chère."
Un immense remerciement à Manuel Bonnet d'avoir partagé avec nos lecteurs ses souvenirs de Nicole Ciravégna.
En espérant que ces quelques mots vous donnent envie de lire ou de relire l'oeuvre de cet écrivain !
Florence
21/11/2014
J'ajoute cette photo que Madame Michèle Castenet, journaliste, m'a fait parvenir. Cette photo de Nicole Ciravegna a été prise chez elle ! Merci pour ce souvenir partagé !